Spiritualités

 
 

 

 

Vocabulaire et Spiritualité

 

Le vocabulaire et la traduction de ce vocabulaire d'une langue à une autre pose souvent un vrai problème de compréhension, voir de dérive par rapport au terme initial, et cela que cette dérive soit voulue ou accidentelle.

Le texte suivant, qui est tiré d'un article du magazine "Nouvelle Clés" (numéro 19), est un extrait de l'interview de Thierry Gaudin qui explique bien ce phénomène :

Les religions sont d'abord des pratiques et toute pratique vise l'avenir, cela me semble clair. Quant à savoir si les religions sont des croyances, posez-vous simplement le problème de la traduction des concepts religieux d'une langue dans une autre. Le mot "Dieu" a-t-il vraiment le même sens au Japon (la grande déesse Amaterasu) ou en arabe (Allah) ?

Lorsque j'étais en Bolivie, il y a quelques années, un membre de l'Académie des sciences boliviennes m'a fait part d'un curieux constat concernant les Aymara (peuple amérindien qui habite à plus de 4000 mètres d'altitude, et qui attend depuis cinq siècles le départ des hispaniques) . Les Aymara rencontraient quelques difficultés dans l'apprentissage des mathématiques ; or il apparaît que dans la langue de ce peuple il y a place, à côté de l'affirmation et la négation, pour une troisième possibilité le " je ne sais pas ", qui a un poids aussi important que les deux autres. Un Aymara, de ce fait, ne pourra pas dire " Christophe Colomb a débarqué en Amérique ", mais " On m'a dit que Christophe Colomb avait débarqué en Amérique ", car il ne peut témoigner à l'affirmative d'un événement auquel il n'a pas assisté... Il sera, en revanche, extrêmement prolixe en ce qui concerne ses états d'âme ; les Aymara conçoivent l'homme comme un œuf central situé du côté du plexus, qui peut être plus ou moins rayonnant ou fripé, - il est ici tout à son aise pour dire des choses que nous n'oserions pas dire de manière affirmative.

Dès lors, comment voulez-vous comparer les vocabulaires ? En entendant ce témoignage, j'ai demandé à mon interlocuteur Si les relations entre ce peuple et l'Eglise n'avaient pas été difficiles, puisque celle-ci ne cesse de parler d'un Dieu qu'elle n'a jamais vu " Vous ne croyez pas si bien dire - m'a-t-il répondu ; et d'ailleurs, lorsque les jésuites sont arrivés et ont assimilé la langue aymara, ils se sont évertués à en " tordre " le vocabulaire le mot qui dans cette langue signifie " principe qui sert à la connaissance ", devint pour les jésuites le " diable ", tel autre qui signifie " l'homme de connaissance " fut identifié au " sorcier ", etc. "

Comment voulez-vous poser des croyances uniques, alors qu'on ne sait même pas traduire en français ce qu'est le ying et le yang ou le purusha hindou.

Les concepts, qui sont considérés comme faisant partie des croyances, doivent être immergés dans la langue locale pour être retrouvés, et dans un paysage conceptuel complet. On ne peut assimiler qu'un ensemble de choses liées entre elles, et non en détacher un élément et déclarer, par exemple ceci est une croyance à laquelle je tiens. Il y a un problème évident de traduction.

En matière de religion, je me suis souvent dit qu'il fallait être capable, de temps en temps, de " couper le son " pour regarder les gestes que les gens font. Avec l'œil de l'éthologue ou celui du psychanalyste, on voit des choses tout à fait différentes de ce qu'elles sont censées représenter au premier abord... On voit des pratiques qui, comme telles, ont une influence sur le psychisme ; c'est justement cela qu'il faut analyser, plutôt que s'évertuer à vouloir expliquer un phénomène par une doctrine quelconque. Les doctrines ne sont que des affaires de sectes.

Un autre fait bien connu aujourd'hui est la traduction de certains termes sanskrits en français ou en anglais. Par exemple, le terme "dukka" utilisé par le Bouddha pour décrire les 4 Nobles Vérités, bases de la doctrine Bouddhiste, a été traduit par "souffrance" dans un premier temps. Cette traduction, bien qu'elle persiste encore aujourd'hui, est de plus en plus remplacée par "frustration". Pourtant, tout le monde reconnaît maintenant qu'il n'y a pas de termes équivalent à "dukka" dans le français et l'anglais. D'ou la grande difficulté d'expliquer simplement les bases des 4 nobles vérités.

Un autre terme bouddhiste la "vacuïté" a été dès le départ très mal interprété. Il a été utilisé comme synonyme de "néant", et la religion Bouddhiste a été aussitôt assimilée à une philosophie nihiliste, ce qu'elle n'est bien évidement pas.

Il en est de même pour une grande partie des mots sanskrits utilisés dans le Bouddhisme ou dans les religions et traditions Orientales.